La famille du Guey de Nérée


Texte de M. Michel Dugué, de Granville, transmis au maire du Ménil-Ciboult en 1994.

 

Le fief de Nérée est attesté dès 1390.

Le manoir

Actuellement connu sous le nom de Noirée, le manoir a subi un incendie en 1508. Il a ensuite été restauré. Le linteau de la porte d'entrée porte la date 1581. L'examen des murs, des ouvertures, de la décoration extérieure et intérieure, nous permet une approche de la vie de cette demeure. L'encadrement de la porte d'entrée est particulièrement intéressant:

  • Sa partie inférieure, jusqu'à la hauteur de la porte dite "de la cave", est en granit jauni, de taille assez grossière;

  • Sa partie supérieure, surélevée – ce qui a permis de loger une imposte au-dessus de la porte – est en granit gris clair, régulièrement taillé. Le linteau, droit, porte une inscription latine, un écusson frappé d'une rose, et la date 1581.

Cette porte confirme deux périodes: celle de la rénovation de 1581 et celle nettement plus ancienne, à laquelle la façade, avec ses ouvertures encadrées de granit jauni, a été bâtie. Ces ouvertures, à savoir, au rez-de-chaussée, une petite fenêtre, la porte de la cave, la haute fenêtre avec traverse et à l'étage les bases en granit et la partie inférieure de deux fenêtres, sont agrémentées de décors d'esprit gothique flamboyant et Renaissance: accolades, fleurs de lys, cœurs encerclés de cordelières, torsades, losanges, écussons de style français et polonais.

Cette décoration pourrait correspondre à la restauration après l'incendie de 1508. Elle est manifestement très antérieure à la partie datée 1581. La fenêtre à l'étage, côté est, a été ouverte à une époque récente. Elle ne présente aucun intérêt.

La tour, accolée au mur arrière, est d'appareillage assez grossier. Elle est ouverte de deux petites fenêtres grillagées. La plus basse est simplement ornée de chanfreins. Il s'agit là certainement de la partie la plus ancienne du manoir. Nous suggérons une édification vers 1400.

La visite intérieure du manoir confirme l'examen extérieur. Au rez-de-chaussée, nous pénétrons dans un couloir au fond duquel deux portes assez basses, au linteau droit, donnent accès, l'une à la cave, l'autre à la tour. Elles sont ornées d'accolades. La première porte un écusson avec une rose, la seconde une fleur de lys.

L'entrée du couloir ouvre dans la vaste salle de séjour. Les grosses poutres sont soutenues par des corbeaux de granit. La large cheminée, du même granit, comporte un manteau à la décoration simple: au centre, un écusson de type français ancien portant une rose, de chaque côté de l'écusson une cordelière, le tout entouré d'une double moulure. Les corbeaux de la cheminée sont ornés de renflements dits godrons. Au fond de cette salle une porte en plein cintre, à chanfrein, ornée du même écusson que la cheminée, donne accès à la tour.

La rusticité de cette salle nous laisse supposer que sa structure serait de l'époque 1500, ou ...

A l'étage, par contre, la décoration de la chambre est du type Renaissance, plutôt fin 16ème siècle. Le manteau de la cheminée est sculpté en son centre d'un écusson de type polonais orné d'une rose, encerclé d'une cordelière, le tout entre deux chandeliers.

Les corbeaux de la cheminée portent également des godrons. Cette pièce est pavée de petits carreaux de pierre rougeâtre. Nous pensons que cette chambre a été édifiée lors de la rénovation de 1581. L'escalier de la tour, à vis, en bois, et la charpente sont anciens sans que l'on puisse les dater.

Nous avons eu la chance d'observer un manoir n'ayant pratiquement pas subi d'outrages. Nous en savons gré à tous les propriétaires successifs – Monsieur et Madame Millet actuellement – qui ont su respecter et entretenir ce témoin de l'histoire.

En sept endroits nous avons remarqué un écusson sculpté d'une rose. Cette rose caractérise le blason de la famille du Guey.

Les propriétaires du manoir de Nérée

Le fief de Nérée a appartenu à la famille du Guey, depuis au moins 1390 et sans interruption jusqu'aux environs de 1645. A cette époque la fille du Guey, seule héritière de son père Jean décédé vers 1633, a épousé René Avenel. Leur propre fille, Françoise, a épousé Gabriel de Méhérenc en 1666. Leur fils Jacques de Méhérenc (1673-1724) est devenu seigneur et patron du Mesnil-Ciboult. Les filles de Gabriel de Méhérenc et de Françoise Avenel ont ensuite, en 1736, vendu le fief de Nérée à Jacques Le Harivel.

Vers 1770, ce fief a été vendu à François de Coüespel. D'autres changements de propriétaires ont du avoir lieu jusqu'à la Révolution française, pendant laquelle le fief a été vendu comme bien national.

Les du Guey de Nerée

De 1390 à 1550 on parle indifféremment des du Guey dits Nerée, des Nerrée dits du Guey, des Nerée ou des du Guey. En fait, le nom de famille était bien du Guey (près d'un gué, à l'origine), et le lieu Nérée, ou Noirée, ce qui signifie eau noire. La petite rivière, le Noireau, passe au Mesnil-Ciboult.

En 1393, Guillaume de Nerée dit du Guey, écuyer, était propriétaire du fief de Nerée. Il avait épousé demoiselle Jourdaine, dame de Crully. En 1403, il y eut partage au Mesnil-Ciboult entre ce Guillaume et son frère Robert des héritages de leur père.

Jean I, fils de Guillaume et de demoiselle Jourdaine, épousa Catherine du Chastel vers 1420. Leur fils Jacques I, sieur de Nerée et de Hubert (le Hubert, au Mesnil-Ciboult) épousa Agnès Cousin vers 1450. En 1460, il était "lieutenant en la châtellerie de Tinchebray". En 1490, il devait "le service de 15 jours au château de Tinchebray d'un homme garni d'un arc, de deux flèches et un bougon". Ce Jacques I eut deux fils, Anthoine et Jacques II.

Jacques I et II, père et fils, eurent des démêlés avec le roi de Sicile, comte de Mortain, vers 1463, puis avec les rois Louis XI et Louis XII, à propos du patronage de la cure du Mesnil-Ciboult. Un accord eut lieu vers 1512.

Jacques II eut un fils, Jean II, qui épousa Christine Poret, fille du seigneur de Bois-André, vers 1520. Jean II et son oncle Anthoine de Nerée dit du Guey déclarèrent en 1523 qu'un incendie du manoir de Nerée avait eu lieu en 1508, et que les archives avaient été brûlées. Ils déclarèrent alors leur généalogie, depuis Guillaume.

Jean II et Christine Poret eurent un fils, Jacques III, décédé après 1599. Il eut lui-même un fils, Jean III, sieur de Nerée, qui épousa Marguerite de la Roque en 1596. Nous connaissons huit enfants de ce mariage.

Jean IV, l'aîné, épousa Françoise de l'Ecluse en 1626 à Tinchebray. Il mourut vers 1633, laissant une fille qui épousa René Avenel vers 1645. C'est alors que le fief passa aux Avenel, puis aux Méhérenc, etc...

Le quatrième enfant, Jacques IV du Guey, écuyer, sieur du Vivier, a signé plusieurs actes à Tinchebray en 1651.

Le septième enfant, Henry, né en 1613, décédé en 1688 à Saint-Quentin-les-Chardonnets, épousa Jacqueline des Rotours vers 1645. Il était écuyer, sieur de Hubert, et habitait la Fleurière en Saint-Quentin-les-Chardonnets. Il eut lui-même six enfants.

Les fiefs associés à celui de Nerée

Déjà en 1310 un Pierre du Guey, clerc, possédait la masure de la Tourpinière, en Saint-Quentin-les-Chardonnets. Il passa un accord avec les religieux du Plessis-Grimoult.

En 1390, un Jean du Guey, écuyer, était seigneur de Saint-Quentin-les-Chardonnets et de Nerée. Il était vicomte de Mortain après l'avoir été de Pont-au-sou (Pontorson?), Pont-Audemer, Pont-de-l'Arche et Avranches. Était-il le père de Guillaume et de Robert? Il était donc seigneur de Nerée, et aussi de Saint-Quentin, mais nous ne savons pas de quel fief en cette paroisse.

Le Hubert

En 1523, Anthoine et Jacques II déclarèrent que leur père Jacques I était sieur de Nerée et de Hubert.

Henry du Guey, né en 1613, décédé en 1688, leur arrière-arrière-petit-fils, était encore sieur de Hubert.

Le fief de Hubert était au Mesnil-Ciboult à 2 km au sud-est de Noirée. Le village existe toujours, bordé par le Noireau. La maison actuelle, propriété de Monsieur et Madame Prunier, est probablement du 16e siècle, mais, très "modernisée", indatable. Le manteau de l'imposante cheminée porte un écusson recouvert de plâtre et de tapisserie, invisible malheureusement. Une habitation plus ancienne est accolée à cette demeure, indatable également.

La Fleurière

Henry du Guey, sieur de Hubert, avait acquis des biens à la Fleurière, en Saint-Quentin-les-Chardonnets. N'étant pas l'aîné de Jean III et Marguerite de la Roque, il n'avait pas hérité du fief de Nerée. Il habitait la Fleurière.

Aujourd'hui, au village de la Fleurière, il n'y a plus trace de maisons anciennes, sauf dans un champ, d'une petite habitation dont une fenêtre porte un linteau Renaissance, avec accolade. Le fief comportait aussi le moulin de bas, en ruines actuellement, et le moulin de haut, bien conservé, qui a fonctionné jusqu'à la dernière guerre mondiale.

L'église du Mesnil-Ciboult

Nous avons vu que le seigneur de Nerée avait droit de patronage de la paroisse du Mesnil-Ciboult. Cela signifie qu'il avait le privilège de présenter un nouveau curé lorsque le poste était vacant. Ce droit a d'ailleurs donné lieu à divers litiges, nous l'avons vu.

L'intérieur de l'église ne présente pas de traces des époques anciennes. Nous remarquons toutefois, dans la sacristie, environ un mètre carré de petites dalles rougeâtres semblables à celles de la chambre du manoir de Noirée. Elles sont à préserver précieusement.

Dans la sacristie, notre attention a été particulièrement attirée par l'armoire des chapes. Cette haute, large et profonde armoire à deux portes a du être fabriquée à cet usage. Sous sa corniche un bandeau est sculpté de rinceaux – branches recourbées prolongées par des feuilles – et, au centre, d'une rose. On retrouve la rose emblème de la famille du Guey. On peut de ce fait penser que cette armoire a été fabriquée avant 1630. Les deux portes, par contre, présentent des motifs qui rappellent le style Louis XIV.

A l'extérieur de l'église nous remarquons trois pierres tombales maçonnées dans les murs. La pierre à l'est de l'église a été en grande partie martelée. Nous pouvons toutefois encore lire: "… curé de Mesnil Ciboult au droit du sieur de Noirée". Les deux pierres dans le mur sud sont illisibles.

Mentionnons encore l'if "millénaire" du cimetière. Constitué d'une couronne d'environ quatre mètres de diamètre, encore au centre, il a probablement vu naître et mourir tous ceux que nous avons cités depuis l'an 1300.

NB: Richard Jean de Nerée, protestant, probablement de la branche des du Guey de Pontécoulant-Proussy-La Villette, émigra aux Pays-Bas en 1601. Ses descendants portent toujours ce nom de "de Nerée" et vivent aux Pays-Bas.

 

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